Etant donnée l’importance du peloton aux 100 km de Millau cette année (2445 arrivants contre environ 100 ou moins pour la plupart des autres cent-bornes de France), je ne résiste pas au plaisir de mettre tout ça en chiffres et en diagrammes, exactement comme je fais d’habitude avec les marathons. Je n’ai moi-même jamais couru Millau, et une analyse chiffrée me permettra probablement d’appréhender en partie la difficulté de cette épreuve.
Je termine d’ailleurs cet article par une estimation d’une « bonne » gestion de course à Millau, puis de la performance possible en fonction de la vitesse moyenne qu’on est capable de maintenir sur la première moitié du dénivelé de l’épreuve.
Commençons par les chiffres clés de la course ainsi que l’histogramme des arrivées.
Statistiques générales
Arrivants : 2445
Temps du vainqueur : 7h21
Temps médian : 13h27
Temps du dernier : 23h31 (temps limite : 24 heures)
Première féminine : 8h45
Hommes : 84% ; femmes : 16%
Performances du peloton :
Je les détaille par tranche de 15 minutes, ce qui donne un tableau assez volumineux. Ces performances ne sont pas aisément comparables à celles de la plupart des autre cent bornes pour plusieurs raisons : le temps limite est de 24 heures à Millau, contre 15h-15h30, ou même 13 heures en général ; la course de 100 km la plus populaire de France attire forcément des débutants sur la distance, qui plus est pas toujours bien préparés ; enfin, la quarantième édition a naturellement vu son peloton gonfler (presque doubler) par rapport aux 1000 à 1500 partants habituels, donc avec un afflux supplémentaire de débutants mais aussi de cent-bornards ayant couru d’autres épreuves dans un passé récent, voire très récent ; le dénivelé de la course, concentré sur les 60 derniers kilomètres, corse sérieusement la stratégie de course et rend les performances difficilement comparables à celles obtenues sur un cent-bornes bien plat.
Bref, pour toutes ces raisons, on devrait s’attendre à des performances d’ensemble plutôt modestes.
L’histogramme des temps d’arrivée correspondant à ce tableau offre une vue synthétique du peloton, en particulier de certains pics d’arrivée qui correspondent à des heures pleines et à des seuils psychologiques de performance, probablement renforcés par la présence de meneurs d’allure. On trouve en abscisse le temps d’arrivée (19.25 signifie 19h25) et en ordonnée le nombre de coureurs par tranches de 15 minutes successives.
Analyse de la gestion de course
Les résultats publiés sur le site des 100 km de Millau offrent quelques informations supplémentaires qui permettent d’analyser la gestion de course des participants (du moins de ceux qui ont pu terminer).
Selon le site des 100 km, les 3213 inscrits n’ont donné que 2445 participants classés à l’arrivée, soit un taux d’abandons et de non partants de près de 24%. La météo, clémente, n’a pas dû causer un nombre inhabituellement élevé d’abandons, donc il est probable qu’il y ait eu beaucoup de non partants blessés, ou bien qui n’avaient pas encore récupéré de courses encore récentes mais qui avaient caressé l’idée de participer à la quarantième.
Pour chaque arrivant, les résultats montrent le temps de passage au marathon, à Saint-Affrique, et le temps final. La première boucle, qui part et revient à Millau est réputée relativement plate et se termine au passage au marathon. Les 58 derniers kilomètres, qui consistent en un aller retour à Saint-Affrique, concentrent la totalité du dénivelé de l’épreuve. On y voit en particulier deux montagnes russes : la côte sous le viaduc et la côte de Tiergues. Il me semble que le parcours totalise 12 km de descentes qui sont une véritable épreuve pour les cuisses.
Bref, on l’aura compris : la gestion de la partie ADDM de la course impose une véritable discipline et une approche très différente de celle conseillée sur un 100 km plat. Voir le profil de la course ci-dessous, emprunté au site des 100 km de Millau.
Ceci étant posé, les temps de passage intermédiaires fournis par les organisateurs dans les résultats permettent de calculer deux indicateurs de gestion (mais aussi de fatigue) assez pertinents : (i) le rapport entre le temps final et le temps de passage au marathon et (ii) le rapport entre le temps de course sur le retour de Saint-Affrique à l’arrivée et le temps de course du marathon à Saint-Affrique.
L’étude de ces deux indicateurs montre, comme sur marathon, que ce ne sont pas les coureurs les plus rapides qui gèrent le mieux leur course.
Suite à l’observation des valeurs obtenues par le peloton, on pourra aussi en déduire des valeurs probables de « bonne gestion » et espérer calculer un temps optimal en fonction de ses possibilités personnelles, les paramètres de course (de degrés de liberté diront certains) étant réduit au nombre de trois : la valeur de ces deux indicateurs de gestion de course (données que je perçois comme presque indépendantes des capacités physiques personnelles), et la vitesse moyenne maintenue à l’aller de Millau à Saint-Affrique, portion sur laquelle on encaisse la moitié du dénivelé (positif et négatif), ce dernier terme étant le reflet des capacités physiques du coureur.
Le rapport entre le temps final et le temps de passage au marathon : un coureur parfaitement régulier aurait un rapport des temps égal au rapport des distances, soit 2.37 (100/42.2). Sauf que Millau est carrément pentu dans sa deuxième moitié, et sur un cent bornes on observe souvent une baisse de régime en fin de course (sauf pour la championne de France en titre, A-C Fontaine). Donc, à moins de courir le premier marathon en dedans, on doit observer des chiffres supérieurs à 2.37, et quelquefois largement supérieurs.
Pour chaque coureur du peloton, j’ai calculé ce rapport, puis j’ai rassemblé tous ces chiffres pour construire un histogramme qui donne une idée de l’intervalle de valeurs du maintien de l’allure observé en pratique chez l’ensemble des arrivants.
Le rapport médian est 2.78. Notons que le vainqueur 2011, Michael Boch, exhibe un rapport de 2.50, légèrement supérieur à la valeur plancher de 2.37. La gagnante court avec un ration 100km/marathon de 2.54. Le petit tableau ci-dessous offre une vue simple par quartiles : une infime proportion de coureurs (1%) court les 60 derniers kilomètres pratiquement à la même allure (rapport de 2.405 ou moins) que le premier marathon, en dépit du dénivelé qui y est concentré. Un quart des coureurs sont capables de limiter la casse et affichent un rapport inférieur à 2.66.
| Coureurs | Pourcent |
2.405 | 24 | 1% |
2.663 | 617 | 25% |
2.785 | 1,226 | 50% |
2.945 | 1,833 | 75% |
Un coureur avisé et entraîné pour le profil spécifique de cette épreuve pourrait viser une valeur de 2.66, faisant jeu égal avec les derniers du quartile le plus régulier du peloton.
Le rapport entre le temps de course sur le retour de Saint-Affrique à l’arrivée et le temps de course du marathon à Saint-Affrique, deux portions du parcours sensées être d’égales distances, soit environ 29 km. Un coureur ayant bien dosé son allure (donc pas moi) parcourra l’aller et le retour en des temps semblables, donc avec un rapport des temps proche de 1. Ce ratio est une mesure directe de fatigue, puisqu’elle compare les temps de parcours sur les deux derniers tiers de la course.
J’ai calculé ce ratio pour chaque coureur puis rassemblé les résultats du peloton dans un histogramme.
Le rapport médian est 1.142. Le vainqueur Michael Boch met 17% de temps en plus au retour (ratio de 1.17) tandis que chez les féminines la gagnante est un peu plus régulière avec un ratio de 1.132. Une présentation synthétique par quartile montre quelle serait une « bonne » valeur à viser, sachant qu’au retour vers Millau, il est presque certain que l’on observe un net ralentissement sans pouvoir le maîtriser.
| Coureurs | Pourcent |
1.000 | 176 | 7% |
1.080 | 638 | 26% |
1.140 | 1,193 | 49% |
1.250 | 1,970 | 81% |
Je dirais qu’une valeur correspondant à la médiane serait d’autant plus raisonnable comme « objectif » que les vainqueurs masculin et féminin en sont très proches. Je tablerais donc sur environ 1.15. A titre d’illustration, un coureur en 10h30 ayant couru le premier marathon en 3h54, courra l’aller à Saint-Affrique en 3h06 et le retour vers Millau en 3h30, soit un rapport de 1.13 et une perte de 24 minutes au retour.
En conclusion, une course bien gérée à Millau pourrait se décliner comme suit :
-un rapport 100 km/marathon autour de 2.66
-un ratio retour/aller autour de 1.15, soit une perte de temps de 15% due à la fatigue, ce qui correspond en gros à une perte de vitesse du même ordre de grandeur.
Ces deux valeurs étant raisonnablement fixées a priori en fonction de ce qu’on sait sur les capacités de réalisation du peloton, on peut maintenant estimer un temps de course sur la totalité des 100 km en fonction de la vitesse moyenne qu’on se croit capable de maintenir sur l’aller de Millau à Saint-Affrique.
Si j’appelle a le rapport entre le temps final et le temps sur marathon (a=2.66 ci-dessus), b le rapport entre le temps au retour et le temps à l’aller (b=1.15 ci-dessus), d le distance de Millau à Saint-Affrique (28.9km), et v la vitesse moyenne maintenue sur la portion de distance d (en kilomètres par heure), on arrive à la formule simple suivante qui donne le temps T espéré sur 100 km : T=(1+b).a.d/(v.(a-1)).
Lorsque les paramètres de gestion de course a et b prennent des valeurs fixées, le temps espéré sur les 100 km de Millau est naturellement une fonction inverse de la vitesse v.
Par exemple, avec les valeurs retenues ci-dessus pour les paramètres a et b, v=10 km/h donne un temps espéré de 9h57. Le premier marathon (plat) est parcouru en 3h44, l’aller de Millau à Saint-Affrique en 2h53 et le retour en 3h19.
Faisons un petit tableau montrant la correspondance entre la vitesse moyenne maintenue de Millau à Saint-Affrique en km/h et le temps final sur 100 km, et ajoutons-y les temps sur marathon, à l’aller vers Saint-Affrique et au retour :
Vitesse | Marathon | Aller | Retour | 100 km |
8.00 | 4:40 | 3:36 | 4:09 | 12:26 |
8.50 | 4:24 | 3:24 | 3:54 | 11:42 |
9.00 | 4:09 | 3:12 | 3:41 | 11:03 |
9.50 | 3:56 | 3:02 | 3:29 | 10:28 |
10.00 | 3:44 | 2:53 | 3:19 | 9:57 |
10.50 | 3:33 | 2:45 | 3:09 | 9:28 |
11.00 | 3:24 | 2:37 | 3:01 | 9:03 |
11.50 | 3:15 | 2:30 | 2:53 | 8:39 |
12.00 | 3:07 | 2:24 | 2:46 | 8:17 |
On voit que pour faire moins de 10 heures, il faut être capable de maintenir une vitesse de 10 km/h dans la partie dénivelée, à l’aller. Dans ce cas, il faut aussi veiller à passer en un temps raisonnablement rapide au premier marathon (3h44), soit une vitesse moyenne de 11.3 km/h.
Pour ce qui est de l’entraînement, il faudrait donc se concentrer sur les 29 kilomètres entre Millau et Saint-Affrique pour bien évaluer la vitesse objectif sur cette portion.